Interview de Nadéah pour la sortie de Met A Man
EG : Pour le titre de l'album, tu as choisi While The Heart Beats pour faire référence à un texte de George Eliot qui parle pas mal du fait que c'est en surmontant nos échecs qu'on va de l'avant et qu'on devient plus fort. J'y ai vu une sorte d'écho à ce que tu as vécu en partant d'Angleterre : obligée de partir en perdant ton public et de devoir repartir de zéro en France.
N : C'était plutôt en écho à toute ma vie. J'ai dû faire face à beaucoup de difficultés dans ma vie. Non pas que je sois née dans un pays en guerre ou avec des famines etc. Mais quand même j'ai eu par exemple un petit ami qui a été percuté par une voiture du coup il est devenu tétraplégique et j'ai vu son euthanasie. Ma fille est morte il y a un an. Pleins d'évènements difficile à vivre mais j'avais la capacité grâce à mon art d'assimiler bien ça et de l'utiliser pour avoir plus d’empathie, d'humanité. Et ça met tout en perspective parce qu'on peut vite être très obsédé par le succès et ça me permet d'avoir plus de recul. Par exemple, si t'as passé du temps à prendre soin de quelqu'un qui ne peut pas utiliser ses mains ou ses bras, t'apprécies le simple fait que tu te sentes bien avec. On a tendance à tout prendre pour acquis et a ne pas avoir de gratitude.
EG : On se rend compte de l'importance des choses qu'on perd après les avoir perdu.
N : Oui, ça me permet de grandir en transformant mes sentiments à travers l'art. Je ne sais pas comment je peux faire autrement pour traverser la douleur et accepter d'être avec cette douleur. Parce que si tu te permets d'être avec, tu peux accepter la vie et les autres. Maintenant, je peux accepter les gens qui sont en colère ou tristes parce que j'ai déjà accueilli ce sentiment chez moi. ça ne me fait pas peur. Alors qu'il y a plein de gens qui ont peur de leurs propres émotions et du coup ils ont peur de la vie. Dans un sens, si tu ne peux pas t'accepter toi-même et tes émotions tu te coupes de la vie, tu t'en protèges car tu as peur donc tu ne vis pas pleinement. T'es moins prisonnier de la vie après, moins affecté négativement par la vie.
EG : L'art est donc pour toi introspectif, une manière de transcender tes peurs ou douleurs ? As-tu besoin de l'art quand tu es touché (positivement ou négativement) par un évènement ?
N : Mon art représente ma perspective sur le monde, une réflexion introspective. ça se traduit en art de manière inconsciente mais pas forcement en musique. Si je ne peux pas l'extérioriser par la musique je le fais par un autre moyen. Par exemple, quand j'avais 22 ans j'ai signé chez Universal et j'avais l'impression que toute ma joie et toute ma possibilité d'expression par la musique m'avaient été volées parce qu'ils voulaient LE tube. Alors j'ai commencé à dessiner. Je ne pouvais pas m'exprimer par la musique donc je l'ai fait par le dessin. Et quand j'ai perdu ma fille, j'ai écrit deux livres au lieu de traduire ça en musique. Je ne pouvais pas car c'était trop dur à ce moment-là.
EG : ça passe par l'art mais pas forcement par la musique.
N : Oui et c'est ce qui est génial avec l'art. Dès que la créativité est présente en toi, elle ne lâche jamais, c'est comme la mâchoire d'un bouledogue. Et il faut faire avec car c'est super mais tu ne peux pas échapper à ton propre chemin.
EG : Lors de la 1ère interview, je t'avais demandé les musiques que t'écoutais beaucoup en ce moment et tu m'avais répondu The Black Keys et LCD Soundsystem. Et maintenant ?
N : J'ai beaucoup écouté le dernier album de The Do.
EG : Je me rappelle que tu m'avais dit avoir collaboré avec la chanteuse.
N : Oui, elle a chanté sur trois chansons sur mon premier album. J'écoute beaucoup Mark Ronson -mais que deux chansons de son dernier album car je n'aime pas trop le reste-, The Cure, Otis Redding. C'est ce que j'écoute beaucoup en ce moment.
EG : La dernière fois je t'avais aussi demandé si tu pensais rester en France ou partir dans un autre pays et tu hésitais pas mal. Maintenant que ta vie est plutôt bien construite en France, hésites-tu encore ?
N : Je ne sais toujours pas, je vais voir avec le temps. Je trouve que c'est vachement bien ici, j'ai mon public, mes amis. mais ce qui me gonfles en France c'est l'administration. J'ai l'impression qu'ils ont développé leur cerveau pour compliquer les choses en demandant pleins de papiers etc, pour chaque demande c'est très compliqué et ça me fatigue. Quand tu es entrepreneur, à la fois ils t'aident avec des subventions mais ils te gâchent un peu ça avec pleins de formalités administratives et c'est tellement compliqué de faire ces démarches.
EG : Et si tu pars, tu penses retourner en Angleterre ? En Australie ?
N : J'ai déjà fait l'Angleterre et généralement quand j'essaye de retourner en arrière, ça ne marche pas. J'aimerais bien repartir mais j'aime rester proche des gens que je connais. Mon premier petit ami français, j'habite à 50m de sa maison. J'aime bien rester proche mais je sais que c'est un défaut (rires). Après je pense que j'aimerais tester deux autres pays avant de retourner me poser en Australie. La seule chose qui me gène avec l'Australie c'est le comportement par rapport aux immigrants, c'est pas bien, c'est vraiment stricte et je ne suis pas pour ça. J'aimerais bien aller habiter à Berlin mais il fait trop froid (rires).
EG : Berlin c'est sympa pour les jeunes, il y a beaucoup de choses à faire. J'y suis allée en tant que touriste et j'ai bien aimé.
N : Et c'est pas cher. Mais à ce qu'il parait il n'y a pas trop de travail.
EG : Niveau musique je pense que ça doit aller, ils sont assez branchés musique pop-rock-indie.
N : Et les personnes sont moins stressées qu'à Paris. Ici, ils sont toujours à courir partout sous pression et de temps en temps ils pètent un câble. Quand je suis à vélo je suis comme sacrifié comme Jésus parce que je me prends toutes leurs réflexions "pourquoi t'es dans la rue ? il faut que tu bouges !". Maintenant je me dis que c'est mon rôle d'aider les gens à se déstresser en me jetant la pierre, donc tranquille, j'accepte, c'est mon rôle (rires).
EG : C'est vrai qu'on a l'image de Paris comme la ville de la mode, de la culture etc mais la plupart des parisiens sont super stressés et désagréables dans le métro ou dans la rue.
N : C'est plutôt la ville de la misère (rires).
EG : Tu seras en concert à la Boule Noire le 29 octobre. C'est une salle où tu as déjà joué. T'as déjà un peu tes repères donc tu es moins stressées ?
N : Oui, j'avais besoin du moins de stress possible. Quand j'ai essayé de me remettre sur la seine en mars j'ai totalement raté le concert parce que j'étais pas prête, pas musicalement mais émotionnellement parce que j'avais perdu ma fille 4 mois avant. C'était trop récent et je me sentais très nue sur scène et je n'ai pas réussi à gérer ça. Donc là je voulais commencer par jouer dans un lieu que je connais déjà un peu.
EG : Et tu vas y jouer plutôt des titres de ton prochain album ou des anciens morceaux ?
N : Un peu les deux mais surtout du prochain album.
EG : Qui sort début d'année prochaine. A côté de ton album, as-tu d'autres projets en cours ?
N : Oui quelques collaboration, des livres
Un grand merci à Nadéah et à l'agence Ephélide pour avoir organisé l'interview.
On se retrouve peut-être le 29 au concert à la Boule Noire !
Update du 8/11 : Petit live report : concert haut en couleur, une Nadéah très à l'aise et qui intéragissait beaucoup avec le public. Touchante et pétillante, elle nous a chanté aussi bien de nouveaux titres que certains de ses classiques (finissant sur le puissant Nobody But You). C'était la 1ère fois que je la voyais sur scène après l'avoir suivi pendant des années et je n'ai pas du tout été déçue !